C2 Montréal est une conférence de trois jours qui explore les tendances, les perturbations, les percées et les nouvelles avenues du monde des affaires et de la créativité, et ce, grâce à des conférences inspirantes, des séances de brainstorm expérimentales, des classes de maîtres, des ateliers, des braindates – ces rencontres en tête-à-tête pour discuter de divers sujets – et de nombreuses performances artistiques.
Pendant la conférence, j’ai eu la chance de rencontrer le brillant et passionné Dr Robert Sutor, directeur de recherche et développement responsable de la direction du programme IBM Q pour l’informatique quantique, pendant C2 Montréal, juste avant son exposé à la conférence “Saut quantique”, sur la scène principale de l’événement.
Dr Sutor est actuellement vice-président chez IBM Q Stratégie et Écosystème, IBM Recherche et IBM Entreprise à Yorktown Heights, New York. Il est un leader et un technologue possédant plus de 30 ans d’expérience dans diverses technologies, telles que l’informatique quantique, l’intelligence artificielle, le blockchain, l’analytique, la science des données et le cloud.
Qu’est-ce que l’informatique quantique?
L’informatique quantique (IQ) ne remplace pas l’informatique classique ; elle aide à résoudre certains problèmes que l’informatique classique ne peut tout simplement pas résoudre. Prenons l’exemple de la quantité d’informations que la nature stocke dans une seule molécule de caféine. Ce n’est pas une très grosse molécule. Imaginez votre tasse de café ou de thé, elle contient des milliards ou des trilliards de molécules de caféine, et je vais juste prendre l’une d’entre elles. Et la figer juste un instant, puis je vous demande de tout me dire sur sa configuration énergétique.
La quantité d’informations nécessaires pour le décrire serait de 10 aux 48 bits. En comparaison, le nombre d’atomes de la Terre est estimé entre 10 aux 49 bits, ou entre 10 aux 50 bits. Donc, en théorie, pour une seule molécule de caféine, il faudrait un nombre de bits comparable à 10 % du nombre d’atomes de la planète entière. Cela n’arrivera pas avec les ordinateurs classiques. Cependant, considérez les ordinateurs quantiques, les plus grands que nous avons actuellement chez IBM. Il s’agit de 50 qubits – l’unité de calcul de base en IQ. Vous pourriez représenter l’énergie de cette même molécule de caféine en 160 qubits exactement. Et nous en sommes déjà à 50 maintenant.
Si tout va bien, nous arriverons à 160 et au-delà dans les 1000 et 10 000 qubits. Au fur et à mesure que nous aurons des machines de plus en plus puissantes, nous serons en mesure de faire de tels calculs avec d’autres produits chimiques, des molécules, peut-être des médicaments pour les soins de santé ou de nouveaux matériaux. Ce ne sont que des exemples. Il existe d’autres applications en IA, en finance ou en optimisation générale.
Quel est l’état actuel de la technologie?
Toute l’équipe d’IBM Q développe le système complet et le matériel, en plus des logiciels nécessaires. Nous en sommes au point où les machines sont maintenant utilisables. Les gens peuvent commencer à penser aux nouveaux algorithmes qui seront nécessaires, et aux applications pour lesquelles ils seront réellement utilisés, parce que c’est radicalement différent.
Quel est l’état actuel de la recherche?
Il y a toute la partie écosystémique. Il ne s’agit pas seulement de construire la technologie et d’espérer que les gens l’utilisent, nous devons aussi la rendre accessible. Il y a deux ans, nous avons d’abord mis cette machine à 5 qubits, puis plus tard, une machine à 16 qubits sur le web. Nous voulons que les gens y aient accès. Depuis ce temps, nous avons eu 85 000 personnes ayant fait plus de 4,4 millions d’expériences. En plus de construire cette nouvelle technologie passionnante, nous veillons à ce que les gens puissent y avoir accès.
L’IQ instaure une nouvelle ère de la chimie ! Mais elle sera de plus en plus utilisée dans un large éventail de domaines. Si vous étudiez l’IQ maintenant, vous ferez partie de la main-d’oeuvre active dans les années 2020, que vous deveniez ingénieur en logiciel ou scientifique. C’est le moment idéal pour apprendre.
L’IQ remplacera-t-elle un jour entièrement l’informatique traditionnelle? Ou faut-il que les deux existent en parallèle?
Ce sera probablement dans des centaines d’années. Nous pensons à des ordinateurs quantiques travaillant avec des ordinateurs classiques. Si nous réussissons, l’informatique quantique sera capable de résoudre certains problèmes en quelques secondes qui pourraient prendre des années aux ordinateurs classiques.
Au moment où vous aurez besoin de cette sorte de puissance de calcul pour certaines tâches, vous vous tournerez vers un ordinateur quantique, vous obtiendrez les résultats et vous continuerez votre vie en utilisant votre ordinateur classique.
L’IQ nous permet-elle de maintenir la loi de Moore en vie?
Ce n’est pas exactement comparable. Le problème avec la loi de Moore, c’est que lorsque vous allez au niveau de la puce, il y a des limites à aller si petit. Vous commencez à avoir des interférences électroniques bizarres parce que les parties des transistors sont trop proches l’une de l’autre. Cependant, quand on pense à l’effet des ordinateurs sur la société, le fait que les ordinateurs sont devenus plus puissants au fil des ans nous a permis de nous attaquer à des problèmes de plus en plus intéressants.
Nous, en tant que société humaine, nous comptons sur les ordinateurs pour nous donner ces avancées majeures. Avec la loi de Moore, votre question pourrait être formulée autrement comme suit : “ne verrons-nous plus ces grandes améliorations auxquelles nous sommes si habitués ?” Eh bien, je pense que l’IQ continuera de nous donner certaines de ces possibilités.
Est-il possible que certaines applications soient en cours de développement pour du matériel qui ne pourra peut-être jamais livrer tel que prévu?
Il y a une longue histoire à cela, parce que l’IQ est fondamentalement construite sur la mécanique quantique, qui est un domaine très étrange de la physique.
Cela remonte aux années 1900. Il y avait de grands arguments dans les années 1930 entre Einstein et d’autres physiciens à ce sujet, il y a des arguments spirituels sur la signification de la mécanique quantique dans l’univers. Revenons à l’exemple de la caféine. Comment la nature stocke-t-elle autant d’informations sur une si petite molécule alors que nous ne pouvons pas, dans toute notre sagesse, créer un ordinateur pour le faire. Il doit se passer quelque chose d’autre. Il y a donc des aspects scientifiques et philosophiques. Il y a des algorithmes qui sont conçus pour des ordinateurs quantiques qui doivent être beaucoup plus puissants, de l’ordre de centaines de millions de qubits. Un tel matériel n’existe pas encore. Mais nous n’en sommes qu’au début.
Quel est votre principal objectif pour les prochaines années?
Je suis chez IBM depuis 35 ans et c’est la chose la plus cool sur laquelle j’ai jamais travaillé ! Vous savez, quand vous êtes en affaires, vous présentez toujours les nouveaux modèles, la prochaine version. Mais combien de fois avez-vous l’occasion d’introduire une toute nouvelle technologie ?
C’est, de toutes les façons possibles, différent. Mon souhait pour les années à venir est de voir de plus en plus de gens utiliser l’IQ pour résoudre des problèmes existants et entièrement nouveaux.
Cet entretien a été édité et condensé pour plus de clarté.