Le 2e volume de la série #intersections du Printemps numérique consacré à l’intelligence artificielle (IA) eut lieu le 7 mars dernier au Centre Canadien d’Architecture. 4 experts étaient conviés à en parler ainsi qu’à prendre part à un panel de discussion sur ses enjeux.
Parmi les invités figuraient Hugues Bersini, professeur à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et codirecteur du laboratoire de l’Institut de Recherches Interdisciplinaires et de Développements en Intelligence Artificielle de l’ULB (IRIDIA); Gheorghe Comanici, développeur du navigateur Chrome pour Google Montréal; Guillaume Chicoisne, directeur de la programmation scientifique pour L’institut de valorisation des données (IVADO); et Dr Jeffrey A. Goldstein du Centre de compétence IBM/Watson.
D’ailleurs, clin d’œil au thème de la conférence : chaque invité était annoncé par une voix préprogrammée de type Siri.
Au début du panel, les experts ont noté que Montréal est un terreau très fertile en matière de recherche en IA. « L’apprentissage profond et la recherche opérationnelle sont deux approches qui, au niveau de la recherche universitaire, sont très développées à Montréal », explique Guillaume Chicoisne.
Il ajoute que la diversité des talents de la métropole est synonyme d’équipes fortes provenant d’une grande variété de perspectives.
« Si on monte une équipe avec juste des ‘old white men’, on n’a pas la meilleure équipe. Il faut qu’on ait des femmes, des jeunes, des vieux, des gens de cultures et de langues différentes et des villes comme Montréal [peuvent] confronter leurs travaux à des cultures différentes, à des langues différentes et monter des équipes complexes dans lesquelles très naturellement les ordinateurs vont avoir leur place non pas comme des adversaires ou des compétiteurs, mais comme des partenaires utiles ».
Cependant, un bémol à cette situation est la migration des talents montréalais vers les entreprises californiennes. « On est déjà dans une pénurie de spécialistes à cause de dynamiques qu’on a vues sur la Côte Ouest américaine où un étudiant qui n’a même pas terminé sa maîtrise peut recevoir une offre [d’emploi] dans les 6 chiffres. On se retrouve à avoir un gros problème de relève et de disponibilité de la main-d’œuvre ».
Mais alors que pour beaucoup, l’IA est un monde des possibles aux résonnances très positives, quelques-uns à la voix très portante manifestent beaucoup de craintes. On a d’ailleurs pu l’observer lors de l’ouverture des questions au public. Enjeux de sécurité, Big Brother, pertes d’emplois : tout y passa.
« La littérature sur l’IA est souvent une littérature critique, effrayée, paniquée », constate Hugues Bersini.
Mais les conférenciers argumentent qu’il soit inutile de s’énerver puisque de toute façon, qu’on le veuille ou pas, la technologie prend de l’ampleur. « La technologie, c’est comme une balle qui roule : on peut en changer la route, mais elle va toujours descendre, métaphorise Gheorghe Comanici. La clé, c’est vraiment d’encourager l’éducation ».
Et ça ne signifie pas que la majorité des emplois en seront affectés. « Il faut se méfier des prophéties en matière d’informatique, précise Hugues Bersini. Le monde change très rapidement, donc de dire que dans 20 ans, il va y avoir 40% des emplois qui vont disparaître, c’est du non-sens ! ».
« On est en train de voir une évolution du travail, appuie Dr Jeffrey A. Goldstein. Le but n’est pas d’effacer le travail, mais simplement de donner des solutions beaucoup plus efficaces ».
Pour cette raison, le gouvernement ne devrait tout de même pas tarder à faire des choix de société afin que la transition vers des villes intelligentes soit sans heurts. « Les gouvernements sont un peu comme nous, ils ne savent pas trop par où aborder le problème et quelle solution lui apporter, émet Guillaume Chicoisne. […] Ils réfléchissent, ils nous écoutent beaucoup, mais il n’y a pas grand-chose de vraiment palpable et efficace qui sort en ce moment ».
« Si nous confions une partie de nos existences à des algorithmes, il va falloir se mettre d’accord sur la nature des fonctions sociétales, supporte Hugues Bersini. Qu’est-ce qu’on appelle le bien commun ? Quel niveau d’égalité voulons-nous dans nos sociétés ? ».
Afin que l’IA demeure une bonne nouvelle, « Il faudrait très vite reprendre la main sur le pouvoir qu’ont acquis les GAFA [Google-Amazon-Facebook-Apple], car ils sont en train de s’emparer de toutes ces technologies et de manière extraordinaire, car ils ont une concentration des cerveaux, une concentration des technologies et une concentration des données comme aucun autre laboratoire », prévient le chercheur qui a tout de même une grande foi en les technologies comme solutions aux diverses menaces environnementales, économiques et sociétales.